Mali : monologue du passager…
Tu sais mon frère, le Malien est une grande gueule, et ça, ce n’est pas mon trip. Autrefois, on reprochait la même chose aux autres : Ivoiriens, Guinéens, Camerounais, et même à Ahmadinedjad. Tout le monde, de l’intérieur de cette voiture jusqu’en Chine, tout le monde sait qu’on s’est cassé la gueule. Et, au lieu de mettre le clignotant et de se ranger sur le bas côté, non, le Malien continue de donner dans le klaxon, faisant comme si les écailles ne lui sont pas encore tombées des yeux. Moi, je me prends la tête à deux mains quand je l’entends brailler, hurler son hostilité à la France. Je me dis que c’est couillon quoi, et je me demande ce qui se passe dans sa tête pour qu’il demande que la France parte, qu’elle en fait trop ou plus que ce qu’elle était sensée faire. Ce petit Malien qui a crié « A bas la France… ! », qui a demandé le boycott des produits français, qu’est-ce qu’il a fait ou pourra faire afin de combler le vide que la France laisserait si elle en venait à partir. Toi, tu sais ce qu’il a fait ? Moi, j’en sais rien. Ces jeunes, que sont-ils devenus, sinon des paquets de gros nuls. Leur truc, ce n’est que poser le thé, marcher dans les combines des voyous et salopards qui pillent l’Etat, faire la fiesta, et crier sur tous les toits qu’ils ont un diplôme, mais n’ont pas de travail, ignorant que le temps de l’Etat-providence est loin pour ne pas dire révolu, qu’aucun Etat ne peut donner du travail à tout le monde.
Toi, tu es jeune, mais que sais-tu faire, alors que tes égaux, tes semblables en Chine, au Japon font travailler leur matière grise pour fabriquer les jouets, les téléphones portables, et les moto-Djakarta pour lesquelles vous butez les uns les autres ici chaque jour. C’est désolant à dire, mais c’est comme ça.
Et le Malien, il est comme ça. Partout où il passe, il veut montrer à tout le monde qu’il est fier qu’il a un passé noble… mais il n’a rien pu quand son pays s’est déglingué sous ses yeux à une vitesse stratosphérique. Moi qui suis devant toi, j’ai vu le régime de Moussa Traoré tomber, et je peux te dire que c’était le plus minable régime que nous avons connu. C’est sous Moussa que des ignares étaient devenus commerçants import-export, les uns à cause de leur proximité avec la première dame Mariam, les autres parce qu’ils étaient assez proches de Moussa Traoré pour le surnommer Balla. Ces gens-là ont régné sur notre économie, ont vécu leur période de gloire, alors que les gens instruits comme toi tendaient la sébile, ce qui est inimaginable de nos jours.
C’est pourquoi, quand on dit qu’aujourd’hui le Mali a beaucoup avancé, il faut l’admettre. Les travailleurs ne passent plus 4 à 5 mois sans salaire, même si je suis d’accord avec toi que la situation actuelle est telle qu’une vache n’y retrouverait pas son veau. Mais, encore une fois, il faut vous écraser. Laissez-nous à nos ananas, foutez la paix à la France, et faites un effort pour comprendre que vous n’êtes rien, que vous êtes au milieu des fauves et que vous devez vous sentir petit chat. Faut que vous compreniez qu’un autre train est en route…
Je te donne un exemple tout simple. Notre langue vernaculaire la plus parlée, le bamanan, elle est parlée où, hormis dans nos familles, au coin de la rue dans nos grins où on se retrouve pour discuter entre amis, en sirotant le thé ? A la télé, au Conseil des ministres, sur ton acte de naissance, c’est en français. Tu envoies ton enfant à l’école, il réussit, et si tu lui rends visite un matin à son bureau, malheur à toi si tu dis « Aw ni Sogoma, au lieu de dire bonjour ! » Ces trois mots en bamanan te privent de toute considération. Tu n’auras plus qu’à regarder ton fils sourire à celui qui aura dit « Bonjour ! ». Tu peux ne pas être d’accord avec moi, mais c’est comme ça !
Boubacar Sangaré
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