Ebola, Jean-Marie Le Pen et la question de l’immigration
C’est un fait, la fièvre hémorragique à virus Ebola a placé l’Afrique sous les projecteurs de l’actualité et installé un climat de peur générale. En Afrique de l’Ouest, elle connaît une flambée avec, selon Organisation mondiale de la santé, 1069 morts essentiellement en Guinée-Conakry, Liberia, Sierra Leone et au Nigeria, qui sont les pays les plus touchés. De partout montent des appels à la vigilance face à une maladie qui se révèle foudroyante. Le continent est dans un état d’alerte permanent. Un malheur qui est en train de semer la dévastation, la désolation. Comme pour donner raison à Albert Camus dans Caligula :
« On ne choisit pas le malheur, mais c’est le malheur qui choisit.»
Mais ce qui choque, c’est que cette épidémie, outre le fait qu’elle a inspiré des comédiens, des cinéastes sur le continent ou ailleurs et fait des vagues, donne à quelques fachos et politiciens en mal d’inspiration, matière à clabauder, amalgamer et étaler devant tout le monde leur haine « de l’autre ».
D’aucuns se demanderont quel est le rapport avec Jean-Marie Le Pen. Simplement parce que ce vieux tribun, serial provocateur, a encore puisé à pleines mains dans l’abécédaire de la xénophobie de l’extrême droite pour railler l’Afrique frappée par la FHVE. C’était en mai dernier, a-t-on lu sur le site de RTL, lors d’un cocktail de presse où celui qui est aujourd’hui le président d’honneur du Front national a évoqué « l’explosion démographique dans le monde, le risque de submersion de la France par l’immigration et le remplacement de la population qui est en cours ». C’est là, peut-on vraiment l’affirmer, les idées qui servent de fonds de commerce à l’extrême droite en Europe, surtout en France.
On le sait, en France, le Front national est le grenier d’idées xénophobes, racistes, islamophobes, ce qui l’a diabolisé auprès d’un grand nombre de l’électorat. Même si, ces derniers temps, sa présidente Marine Le Pen a entrepris une vaste campagne de dédiabolisation qui semble avoir l’effet d’un pétard mouillé, en regard des actes et déclarations racistes dont se sont rendu coupables des candidats du parti.
Pour Jean-Marie Le Pen, pour qui l’immigration serait une menace, « Monseigneur Ebola peut régler ça en trois mois » ? Voilà une trouvaille vaccinale, mais sardonique, contre ce qui est perçu par le Front national comme une épidémie : l’immigration. Ainsi, l’immigration est devenue une hantise, un sujet qui est plus cher à Jean-Marie Le Pen que le vieux cœur qui bat dans sa poitrine, un fouet dans sa main avec lequel il ne se lasse jamais de cingler dans ses discours les immigrés.
Pour le Front national et son électorat, le problème n’est pas le chômage, la dégradation de la santé financière… Pour eux, le problème est l’étranger, immigré noir ou arabe, qui est brandi en permanence comme une menace. Et le plus grave, c’est que ce parti est en train de monter en force, en témoigne le score de Marine Le Pen à la dernière présidentielle et la victoire du FN au récent scrutin européen. D’ores et déjà, des commentateurs politiques parient sur une présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle en 2017.
Disons-le clairement, s’il y a aujourd’hui un mensonge qu’on jette aux Européens comme des os aux chiens, c’est de leur faire croire que l’immigration est la seule menace. Au point que les politiques prennent des mesures pour tarir le flux de migrants qui arrivent à Lampedusa, traversent le détroit de Gibraltar… Personnellement, je crois à cette règle, qui n’est écrite nulle part, selon laquelle « rien ni personne ne peut arrêter un être humain qui a décidé de quitter sa terre pour un ailleurs qu’il juge meilleur (1) ».
Les propos de Jean-Marie Le Pen n’ont pas fait l’objet d’une forte dénonciation dans la classe politique et la presse française, ce qui est grave à une époque où ailleurs en Espagne, en Italie, aux Etats-Unis, au Canada, la tendance est à la reconnaissance du fait que l’immigration contribue à l’amélioration de la croissance économique. Ce qu’il faut signaler à l’attention de Jean-Marie Le Pen, qui semble appartenir à une époque révolue, c’est que le temps est à l’évolution des peuples, au métissage, aux mouvements des populations, et que le vrai problème de son pays, voire de toute l’Europe, c’est la faillite de la politique économique.
Et, on ne peut pas ne pas dire qu’il rit du malheur des Africains, ce qu’on pourrait appeler du « terrorisme moral ».
(1) L’Union européenne est en panne. Réponses inappropriées, erreurs diplomatiques, valeurs perdues… Face au flux d’immigration arabe, l’Europe s’entête et s’enlise, Slate Afrique, Akram Belkaïd, le 2 mai 2011.
Boubacar Sangaré
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