Kalaban-coro : le maire, ses fous et ses fantoches

22 janvier 2016

Kalaban-coro : le maire, ses fous et ses fantoches

On a le droit de mettre sur pied une association croupion pour applaudir un maire impopulaire et aller dormir sur ses lauriers. On a le droit de ne pas avoir la honte honteuse de décerner une médaille et d’accepter d’être des fantoches. Mais on n’a pas le droit de parler au nom de toute une population à coups de slogans pompeux

Mme le maire, théâtre malien
Mme le maire, théâtre malien, Photo: Youtube.com

C’est un évènement qui occupe encore les esprits. Le dimanche 17 janvier, le grand de terrain de Kalabancoro plateau, au sud-est de Bamako, a été le théâtre d’une cérémonie de remise de médaille au maire de ladite commune, Issa Bocar Ballo, militant du CNID –FYT élu en 2009, à l’initiative d’une association dite « des jeunes premiers du Mali », dont on se demande en quoi ils sont « premiers », en collaboration avec la radio Kledu. Franchissant la frontière qui sépare l’humilité de l’extravagance, c’est dans une voiture accompagnée de quatre cavaliers que le roi, pardon !, le maire a rallié la cérémonie, fêté aux cris de slogans « Ballo, un maire du jamais vu à Kalaban », « Kalaban vous dit merci. » par une foule d’obligés et d’obligeants.

Bien sûr, il n’est pas question pour nous de hisser cette drôlerie à la dimension d’un événement. Même si, à Kalaban-coro, la colère qui coule à flots ininterrompus à l’évocation du nom du maire n’a pu manquer de laisser place au rire chez beaucoup, surtout les tenants de l’avis selon lequel jamais mandat d’un maire n’aura aussi douloureusement marqué les esprits. Depuis la fracassante affaire de la vente et de l’expropriation du marché principal de Kalaban-coro, une grande partie de l’opinion publique de cette commune rurale, la plus grande de Kati, a fini par se rendre à une évidence qui est que ce projet du maire répondait à un besoin autre que celui de lotir ce grand marché. Nous n’allons pas réécrire l’histoire, on connait la suite : violent affrontement entre les forces de l’ordre déployées pour la circonstance et les habitants opposés au projet. Cela va sans dire qu’il n’y a pas que ça. Cette affaire, il est toujours utile de le rappeler, a engendré une dégradation du tissu social. A Kalaban-coro, beaucoup de liens de famille et d’amitié se sont cassés donnant lieu à une tension sociale dont le feu durera avant de s’éteindre. Même la pire des mauvaises fois ne saurait nier cela. Et, encore plus important, tous ceux qui ne refusent pas de voir savent que cette affaire de vente et d’expropriation du marché est loin de connaître son épilogue. N’en déplaise au maire Issa Ballo, qui, avec la fierté d’un lutteur sénégalais, présente ce projet comme un succès, alors que le massif rejet populaire dont il a fait l’objet amène à le considérer comme une ombre sur le tableau davantage sombre de son mandat. C’est un fait, cela fait bientôt six ans que le marché n’a toujours pas été achevé, ses occupants d’antan squattent encore un espace public de la jeunesse et le flanc d’une mosquée. Cela parce qu’aussi, la place réservée à eux dans le « marché du maire » ne peut les contenir tous. Et personne ne sait quand déménageront-ils dans le marché.

On pourrait ajouter au tableau l’absence criarde de caniveaux dans les rues de Kalabancoro, avec ses routes cahoteuses et poussiéreuses ; des rivières qui, une fois inondées pendant la saison des pluies, isolent certains quartiers alors qu’il n’est besoin que d’y construire un petit pont. Malgré tout le bien qu’il puisse dire de son bilan dans des interviews tout sauf menées à la baguette, cette seule affaire a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la colère des populations dont l’immense majorité n’a jamais fait mystère de son désaccord avec ce projet. Mais ce qui fâche et humilie, c’est qu’elle ne fait entendre sa colère que dans le fin fond de sa maison, dans les grins (groupe de discussion informel), et ça s’arrête là. C’est là qu’apparaît le plus grand problème avec le peuple, au Mali, ce bébé qui ne grandit jamais, finit par accepter, trouver les choses normales même dans leur anormalité. Ce peuple méprisé, maintenu sciemment dans l’ignorance, à l’esprit sclérosé et gonflé à l’hélium du culte de la personnalité, de la vénération, des considérations et croyances bidon. Passif spectateur, mais jamais acteur. Alors, il est complice. Complice de sa situation, de sa condition de peuple enfumé.

N’importe quel idiot sait que cette cérémonie de remise de médaille n’est pas neutre. Elle cache le jeu de jeunes véreux, comme il y en a plein dans ce pays, qui ne savent pas ce qu’est un bilan, un projet de société. Qui ne reconnaissent que le visage, le diplôme et l’argent. On a le droit de mettre sur pied une association croupion pour applaudir un maire impopulaire et aller dormir sur ses lauriers. On a le droit de ne pas avoir la honte honteuse de décerner une médaille et d’accepter d’être des fantoches. Mais on n’a pas le droit de parler au nom de toute une population à coups de slogans pompeux. Au Mali, l’étalage insolent du ratage de développement se poursuit à cause de la mauvaise gestion de maires à qui il reste à apprendre ce qu’être maire veut dire.

Boubacar Sangaré

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