Mali : éduquez vos enfants, après on parlera du pays

8 février 2018

Mali : éduquez vos enfants, après on parlera du pays

 

Des enfants au Mali. Crédit photo: Ousmane Traoré dit Makaveli

Qu’est-ce qu’un enfant ? C’est un pays, une nation, une famille, une rue. Il ne vaut que ce que valent ces substrats. Tout ce qu’il dit, fait, exprime ou cache sert de baromètre de l’état d’une société. Cela veut dire quoi ? Telle société, tel enfant, pour paraphraser un célèbre adage. Quand on échoue à faire de l’enfant la matrice, le centre du renouveau, quand les oreilles lassées d’écouter un monde, un pays qui crie et se débat dans les pièges qui se referment, quand un pays, un monde s’engonce irrémédiablement dans les draps de l’orgueil, de l’arrogance, du mépris de soi entraînant celui des autres, cela montre que tout fout le camp.

Pendant un demi-siècle, la mise en avant, la glorification du passé a fait un grand pas, mais il y a eu un petit pas pour tout le reste : l’essentiel. L’autre, avec la débilité qu’on lui connaît, a pointé du doigt une de nos névroses : nous vivons trop le présent dans la nostalgie du passé, par conséquent le présent nous coule entre les mains comme de la fine poussière. Nous sommes responsables des ténèbres dans nos cieux, des aubes écarlates qui se lèvent sur nos terres et qui ne font que « ponctuer l’inlassable répétition des nuits », pour reprendre Leonora Miano (Les aubes écarlates).

Pourquoi parler de tout cela ? Parce que cela fait plusieurs jours que les internautes maliens et d’ailleurs, loin de tout ce que les réseaux sociaux proposent de bizarre et de dingue, bavent de rage de ne pouvoir mettre la main sur les auteurs d’un viol collectif dont la vidéo circule sur Facebook. Ce qui n’est pas aussi sans interpeller quant à l’ampleur que prend le voyeurisme chez nous. Mais le débat n’est pas là. D’ailleurs, des voix émergent pour dire que la vidéo en question remonte à assez loin, qu’elle circulait déjà en 2012 et quelques idiots inutiles se sont donc assis derrière leur clavier pour la balancer et écouter les gens jacasser. Mais le plus grave dans l’affaire, c’est qu’il y a eu un viol commis sur une jeune fille, nous renvoyant à l’interminable débat sur la femme, le sexe et le reste, c’est à dire l’éducation. Un viol, c’est une dignité bafouée, un déshonneur, une honte, un traumatisme. C’est un corps meurtri, désacralisé. Le corps de la femme à laquelle nous avons toujours un rapport maladif.

Pour certains conservateurs, les jeunes filles maliennes doivent faire attention à ne pas imiter les Blancs, comme le chroniqueur a pu le lire dans certains commentaires sur les réseaux sociaux. C’est déjà ça quand on veut détourner les gens de l’essentiel. Ecrit il y a quelques mois à propos des présumés cas de viol au Parc national sur des jeunes filles de 12 à 16 ans :

« Quand il y a un viol, les questions du genre ‘’la fille était habillée comment’’ ou ‘’c’est quel genre de fille ?’’ sont des questions de merde, parce qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise victime. »

Il s’agit encore une fois de problèmes humains de nature complexes. Mais il s’agit surtout du Mali, pays, société complexe où, grande hypocrisie, personne ne veut payer le courage de parler du sexe aux enfants, aux jeunes qui deviennent des Valmont frustrés et abreuvés de scènes sexuelles disponibles gratuitement sur Internet. Et qui s’en donnent à cœur joie en violant des Cécile de Volanges comme dans Les liaisons dangereuses de Laclos. Le chroniqueur tient à préciser que cela ne justifie pas, ni n’explique le viol. Il n’a point envie de plonger dans les détails pour essayer de faire comprendre : « Tout comprendre, c’est pardonner », disent les français. Dans Toiles d’araignées, l’éminent Ibrahima Ly nous renvoie au problème le plus préoccupant qui nous attend : « rééduquer le peuple », mais surtout nos enfants en sortant le microcosme malien de la danse du ventre, en ressoudant les familles qui se cassent et en sauvant les structures culturelles et scolaires qui se désagrègent. Et après, on pourra du reste, du pays.

Boubacar Sangaré

P.S : Quelques heures après avoir bouclé cette chronique, l’arrestation des auteurs du viol a été annoncée.

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