Mali : Iss Bill, faire du rap pour qu’on le… réécoute

21 mai 2015

Mali : Iss Bill, faire du rap pour qu’on le… réécoute

Iss Bill, Jeune rappeur malien, Photo: RHHM
Iss Bill, Jeune rappeur malien, Photo: RHHM

« X, Y ont tous merdé, qu’est-ce que Y fait à la C.P.I. quand X traîne en R.C.I./Justice, deux poids deux mesures, comme toujours/Est-ce qu’on aura des Lumumba s’il existe encore des Mobutu/Crimes impunis et ils nous parlent de droit/Même les gosses du primaire savent qui a tué Sankara…»

Ces paroles ne sont pas d’un militant du Front populaire ivoirien (FPI). Non, elles sont d’Iss Bill, jeune rappeur malien qui, dans « Rebelle », morceau tiré d’une mixtape intitulée « Les aventures d’IBK », dit de lui-même : « Je suis ingouvernable, fuck ton président/J’ai plus de gars sûrs que François Hollande n’a de partisans/J’suis opposant, mais pas Mariko/Je n’veux pas entrer dans l’histoire en trichant comme Haya Sanogo ».

Paroles travaillées, rap conscient, engagement dans le texte, ce rappeur de 20 ans dénonce dans cet album ces dirigeants pour qui le peuple n’est que « vanité », les crimes contre l’humanité, l’Union africaine, « ces millions par mois pour des putschistes ». Et surtout la guerre en Afrique, singulièrement celle au Mali, qu’il évoque dans les morceaux « Maliba for ever » et « Combien d’fois on va les dénoncer », où il appelle les Maliens à l’union, à « libérer la paix et à enterrer la hache de guerre », évoque les nombreuses morts, les déplacés. « Quand les cœurs ne s’unissent pas, c’est Sheïtan (Satan) qui regale/ Faut pas graver dans l’histoire ce que la vertu condamne/ Ne me parles de charia quand tu pues la haine/ Tu me feras rire comme Oussama Ben Laden.», crie-t-il contre les hordes barbares d’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Dine, qu’il appelle les « imposteurs » qui « ont remplacé la notion de Jihad par fusillade. »

Iss Bill, de son vrai nom Issouf Koné, est venu au Mali de la Côte d’Ivoire en 2012 pour entrer à l’université. Mais, le diplôme du bac en poche, la musique prenant trop d’ascendant, les difficultés financières s’en mêlant, il a fait son deuil des études pour se lancer dans le rap. Au lycée, à Abidjan, l’album « Dans ma bulle » de la rappeuse française d’origine chypriote, Diam’s, qu’il considère comme un grand talent du rap français, l’a beaucoup marqué. Outre qu’il écoutait Oxmo Puchino, IAM, Medine, Kerry James, Tata pound… Enfant, il était turbulent, passe le plus clair de son temps à traîner devant les boîtes de nuit, les maquis, ce qui lui vaudra le surnom de Billy the kid, célèbre hors-la-loi du XIXe siècle. De là « Bill » de son nom d’emprunt « Iss Bill ». Pourquoi avoir abandonné les études pour le rap ? Il répond, un peu hésitant, que « les diplômes, c’est de la façade. Il y a des rappeurs, comme Diam’s, qui n’ont pas de diplômes, mais qui écrivent bien. C’est pas forcément une affaire de diplôme, ça n’a rien à voir. Le rap, c’est une affaire de talent.»

« Y a rappeur et rappeur »

Au Mali, dans ces dernières années, le microcosme du rap a poussé comme un champignon. Le rap est devenu un art un peu prisé, plus qu’il y a une décennie, où celui qui choisissait de faire du rap était logé à la même enseigne que quelqu’un qui a commis un crime de lèse-majesté. Aujourd’hui, admet Iss Bill, « le rap a beaucoup évolué, il y a beaucoup de jeunes qui font des choses impressionnantes, qui ont du talent.» Mais, relativise-t-il, « c’est vrai qu’il y a des dérapages, comme les clashes insupportables qui n’en finissent pas. Et il y a rappeur et rappeur : il y a ceux qui le font parce que les autres le font, et ceux qui le font avec du cœur; ces derniers sont très peu.»

Pour lui, le « clash salit l’image du rap » et il propose à sa place de faire l’egotrip (Un texte est dit egotrip s’il a pour but de flatter son propre ego, de se vanter. Sa forme est souvent plus travaillée que son fond car un texte egotrip est rarement à prendre au premier degré. Ces textes sont souvent constitués de punchlines). « J’peux pas répondre à vos clashs de merde/J’ai trop de choses à dire, et puis c’est pas ça qui nourrit ma fille/Je me bats qu’avec les hommes je vous l’ai dit, et comme j’en vois/Aucun dans l’game », dit-il dans « Rebelle »

C’est un fait, au Mali, les adolescents sont les plus friands du rap, contrairement à aux adultes qui sont pour la plupart d’avis qu’il est inutile et ne vaut pas une heure de peine. « Quand il n’y a que des enfants qui s’y intéressent, c’est que c’est pas intéressant. Mais si c’est des médecins, avocats, écrivains, directeurs, policiers, ça veut dire que ce qu’on fait est bien, comme Mylmo par exemple, que tout le monde aime… », dit Iss Bill avant d’ajouter qu’il écoutait « tout récemment une interview d’Akhaneton de IAM qui disait qu’aujourd’hui des directeurs de sociétés, des types qui ont réussi, viennent lui dire qu’ils l’écoutaient quand ils étaient encore petits. Cela veut dire que ce qu’il faisait est intéressant. »

Sa devise, il la tient de Medi, le rappeur français d’origine algérienne qui a déclaré : « Je fais du rap pas pour qu’on l’écoute, mais pour qu’on le réécoute. » Et quiconque l’écoute se rendra vite compte que Iss Bill est fidèle à cette définition originelle du rap, c’est-à-dire « un coup de gueule », « une expression de la rage », « une voix de ceux qui n’en ont pas ». Ne voulant pas faire de l’art « la recherche exclusive du beau », il veut à travers le rap éveiller les consciences. Avec lui, il va sans dire qu’on est loin de ce rap de niveau bac à sable, que nous servaient il y a quelques mois les clashes dégoulinants d’insanités de jeunes rappeurs maliens. On sait qu’il s’agissait plus de règlements de compte que de prise bec artistique. Que ceux qui pensent que « Les aventures d’IBK » parlent d’Ibrahim Boubacar Keïta se détrompent : il s’agit de Iss Beat Killer (IBK), donc Iss Bill lui-même.

Le jeune rappeur se rebelle : « Et, qu’est ce que ma langue ferait dans ma poche ? C’est pas un objet/…/Trop d’leaders assassinés, trop d’leaders en prison/Pour l’emporter j’suis né, liberté de pression/De circulation comme les électrons/Je vote, j’me trompe, donc fuck les élections». Avec son groupe Bamada City Crew (Groupe d’artistes de rue réunissant rappeurs, graffeurs, DJs, breakdancers… tout ce qui touche à la culture Hip Hop), ils sont en train de préparer un album. En solo, son album, dont « Les aventures d’IBK » est le prélude, sera bientôt mis sur le marché : « Si l’album sort, j’fais un disque d’or ou j’arrête le rap/…/Africa Voice, plus qu’un album contre le système, une rébellion». En attendant l’album « Africa Voice », savourons la mixtape « Les aventures d’IBK ».

Boubacar Sangaré

Boubacar Sangaré

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Commentaires

hamdiata
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oui, je confirme, j'écoute tous ces sons.Vraiment c'est que j'apprecie beaucoup et je ne peux que lui encouranger.Il fait la fierté du rap malien

Seydou KONE
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un rap qui dénonce et qui fonce.un rap qui a soif de dénonciation. curieux de l'écouter encore qu'il vient de chez nous la Côte d'ivoire.Pure chauvinisme je l'avoue. Bravo

mareklloyd
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Bien bien bien... L'idée est bien.. Conscientiser à travers le RAP. C'est l'un des meilleurs moyens d'atteindre la jeunesse du moment. Mais, dans le style, le genre de hiphop, c'est loin d'être suffisant pour faire "un disque d'or". Déjà, l'instrumental ne captive pas vraiment, et dans le flow et les lyrics, il y a encore beaucoup de travail à faire. Toutefois, quoique perfectible, le niveau est déjà là.

bouba68
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Merci Marek

Angela
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Les gouts et les couleurs ne se discute pas.Contrairement a Marek;moi je crois plutot qu'a ce rythme ;ce jeune homme fera plus que des disques d'or.C'est un pur talent. Belle plume ;absence totale de la peur dans l'ecriture;en ecoutant le son rebelle j'ai decouver un rappeur hors du commun loint de ces rap au flow minable et comerciale de nos jours.Bravo et vive la revolution

Serge Kouame
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Ce jeune homme veut aller loint cela se sent;il ira loint je le sent;.