Je « rappe », donc je suis…( troisième partie)

1 décembre 2014

Je « rappe », donc je suis…( troisième partie)

 

 

 

Diam's, l'ex-rappeuse française photo: wwwmidilibre.fr
Diam’s, l’ex-rappeuse française photo: wwwmidilibre.fr

En proie à l’affliction, elle franchit la lourde de sa chambre semblable à un box, s’arrêta près du lit ; ses yeux, immobiles, fixaient un poster sur lequel on reconnaissait Tupac, la tête ceinte par un foulard, les bras croisés sur le ventre, la tête penchée vers la droite, le regard vif… Tupac habitait son rêve, la hantait.

– Non, mon père ne va pas me lourder pour ça. Il doit y avoir une autre raison pour qu’il s’acharne contre moi de la sorte », pensa t-elle.

Vite les ruisseaux de la colère qui grondait en elle avaient couru se jeter dans le fleuve de l’indifférence. Elle sortit du patio, et rallia ses amis qui étaient assis sous un manguier, à une distance pédestre de chez elle. A part Assanatou, tous étaient des garçons. Sous le manguier, c’était leur fief ; ils l’appelaient Jamaïque. A Jamaïque, ils avaient tous moins de vingt ans, mais déjà, leur nom donnait à certains, surtout les « les gardiens de la morale », matière à clabauder, à verser dans l’anathème. Dans les mosquées, les imams récitaient à leur encontre une fatwa destinée à les vouer aux gémonies, à les designer à la vindicte publique. Jamaïque, c’était le lieu de rendez-vous de garnements gâtés à l’excès, les uns aussi délurés que les autres, n’ayant aucun respect pour l’âge. Qui ne respectent rien, ni personne. Qui ne s’interdisent rien.
Djibril, un jour dans un accès de colère, avait dit que c’était « un antre de petits arsouilles », qui n’auraient pas dû naitre. A Jamaïque, tous fumaient, tous étaient accro au joint. Il y en avait aussi qui, lors des soirées dansantes, buvaient comme un trou, chiaient et pissaient dans leur froc, divaguaient, débitaient des insanités. Aussi faisaient-ils des insultes père et mère, des insultes qui dépassaient leur propre personne pour s’engouffrer dans le pagne de leur mère, dans le pantalon de leur père.

A peine avaient-ils aperçu Assanatou que l’un d’eux lança :

A faforo (sexe de mon père) tu foutais quoi encore à la maison ?

– Vraiment ! dit un autre en tapant sur les fesses de Assanatou. Moi, je commençais à en avoir après toi, hein. A babiè (sexe de ma mère) !

Une femme, qui rentrait du marché, se boucha les oreilles, précipita le pas pour ne pas avoir à entendre ces insultes. « Ah ! les enfants du soleil levant. Allah, Aie pitié d’eux car ils ne savent pas », avait-elle bredouillé en s’éloignant.

Pour les uns et les autres, Jamaïque soulignait la déconfiture de toute la Ville de Dougoucoro (l’ancien village). Jamaïque était une raclée assenée à tous les pères et à toutes mères. Mais pour l’imam, Jamaïque, c’étaient les enfants de ceux qui occupaient le premier rang de la prière dans la mosquée.

Les jeunes gens rivalisaient de puissance sexuelle, crachotaient des injures qui bouchaient les oreilles. Les jeunes filles, quant à elles, marchaient nues à crever les yeux. Les pères avaient perdu le gouvernail des familles. L’on vivait à qui mieux mieux. L’on fuyait les religieux, la mosquée n’accueillait comme prieurs que des vieux ayant tiré un trait sur la vie. Dougoucoro était à deux doigts du naufrage.
L’impatience dévorait Assanatou depuis que le rappeur Gaspi avait cherché à la rencontrer. Il l’avait invitée dans un bistro fréquenté du quartier. Enfin, il allait rencontrer quelqu’un avec lequel elle partageait l’amour pour le rap, le punchline. Écrivains, artistes, architectes, étudiants se donnaient rendez-vous dans ce bistro où ils venaient pour boire, discuter, se soulager et enfoncer dans le puits de l’oubli les déceptions accumulées. Ils exprimaient leur dégoût d’un pays dont les dirigeants s’acharnaient à les vouer à l’oubli, à la déconsidération. A les clochardiser.

« Dans les discours à télé, les artistes sont embaumés par des mots doux, flatteurs, pleins de respect. Cependant que dans la réalité, la machine étatique use de toutes ses bonnes forces pour les dérouter, les réduire au silence, les pousser dans le gouffre de la désolation, de la désillusion. Les tenants du pouvoir veulent acheter notre silence, nous l’espoir de tous, comme ils le font avec ces ordures de journaux ! », vitupéraient Amari, le jeune écrivain, surpris par le tonnerre d’applaudissements que ses propos déclenchèrent.

Dans le bistro, il y avait foule.

A suivre…

Boubacar Sangaré

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